Le monde connait une troisième révolution industrielle, celle des technologies de l’information et de la communication, la Tech. La première révolution industrielle, issue du charbon autour de 1800, a donné aux puissances européennes une avance technologique majeure et la colonisation du monde. La deuxième révolution industrielle, issue du pétrole et de l’électricité autour de 1900, s’est trouvée au cœur des deux guerres mondiales et a vu les Etats-Unis et le Japon rejoindre l’Europe dans la course à l’innovation.
Dans les 20 dernières années, l’Europe a décroché du peloton en Tech. La troisième révolution industrielle se passe aux Etats-Unis et en Chine. Investissant dans la Tech 5 fois moins que les Etats-Unis ou la Chine, l’Europe se met hors-jeu. Hormis certaines niches, ses champions ne pèsent plus. Ses startups ne bouleversent pas d’industrie. Il n’y a pas de Google européen.
Le principal frein est aujourd’hui le consensus européen sur les restructurations. L’Europe continentale punit la prise de risque. Elle bloque les projets innovants et risqués, moteurs de cette révolution industrielle. Elle anesthésie l’innovation de rupture et détourne les acteurs économiques de la troisième révolution industrielle, par essence imprévisible et volatile.
En conséquence, depuis les années 1970, l’Europe s’est spécialisée dans les industries matures, issues de la deuxième révolution industrielle : l’automobile, la chimie, l’aéronautique, l’énergie. Les industriels de la Tech évitent l’Europe. Les fonds de capital-risque n’y investissent que des montants secondaires.
Ce retard de l’Europe en Tech est profondément dommageable sur son économie, ses entreprises, sur ses emplois, sur son niveau de vie, sur sa souveraineté, sur sa sécurité collective. Les menaces pour l’Europe augmentent du fait de l’ambition de la Chine, de sa confrontation croissante avec les Etats-Unis dans la Tech, du risque de guerre froide ou chaude entre ces deux puissances dominatrices.
L’Europe a tous les atouts pour revenir dans la course. Ses institutions démocratiques garantissent la stabilité politique, contrairement à la Chine ou à la Russie, dictatures fragiles. Les cadres réglementaires assurent la sécurité juridique des acteurs économiques, contrairement à la Chine ou à l’Amérique Latine. Les infrastructures sont excellentes, contrairement à l’Inde. Ses gouvernements sont peu corrompus, contrairement à… d’autres. La liberté d’entreprendre est réelle. Les écoles et les universités sont solides. Les ingénieurs sont compétents, les équipes travaillent dur.
Lever ce frein n’est pas une remise en cause du modèle social européen : il faut continuer à indemniser les chômeurs, former les jeunes et les moins jeunes gratuitement, assurer la santé de tous. Les Européens n’ont pas besoin de devenir des Américains pour innover. Mais ils doivent arrêter de freiner la prise de risque et de pénaliser l’échec. Outre la Tech, la présence de l’Europe dans la transition énergétique peut nécessiter cette même reforme.
Une fois ce frein levé, les Européens pourront fixer des objectifs ambitieux, au niveau des Etats-Unis et de la Chine. En Europe, multiplier par 5 la R&D privée en Tech de 40 milliards d’€ à 220 en 10 ans. En France, multiplier par 8 la R&D privée en Tech de 5 milliards d’€ à 40 en 10 ans. En Allemagne, multiplier par 8 la R&D privée en Tech de 6 milliards d’€ à 50 en 10 ans.
Les Européens ont réalisé ensemble le marché commun et la monnaie unique, projets autrement plus difficiles. Collectivement, ils peuvent revenir à la pointe de la Tech et de l’innovation. C’est nécessaire. C’est possible.
Olivier Coste

Olivier est entrepreneur de la Tech.
X-Mines de formation, il passe 5 ans à la Commission Européenne puis 3 ans au Cabinet de Lionel Jospin à Matignon, où il travaille sur la transformation d'Airbus en société intégrée. Il rejoint Alcatel où il crée une activité de télévision mobile par satellite. Il cofonde et dirige ensuite une startup de vidéo tchat pour e-commerce, dont la solution est adoptée par Microsoft, IBM, SoftBank...
Il vit à New York depuis 2014. Il a publié "La double surprise des télécoms" dans Commentaires au printemps 2012.
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